Calvi, Zemmour, entre nous, pas de rancoeur

J’ai hésité avant de rédiger cette réponse aux propos qu’Yves Calvi, l’animateur des matinales de RTL a tenu à mon encontre dans le Nouvel Observateur. Et puis, ayant pesé les avantages et les désagréments de l’action, il m’est apparu que la prise de parole valait mieux que le silence.

Le premier épisode de nos échanges remonte à la fin du mois d’août. Sollicité par un journaliste du Nouvel Observateur, j’ai évoqué l’un des principaux éditorialistes de RTL, Eric Zemmour, comme représentant majeur de la nouvelle culture rance, désormais dominante dans le débat politique et intellectuel français. Cette remarque, somme toute assez factuelle, m’a valu une vive réponse d’Yves Calvi, toujours dans le Nouvel Observateur. La voici dans son intégralité.

Après avoir évoqué « l’incompréhension » de ma critique de l’éditorialiste de RTL, Yves Calvi poursuit: « Jean-Michel Aphatie a travaillé avec Eric Zemmour pendant plusieurs années et je ne comprends pas qu’il ait tenu ces propos a posteriori. C’est une phrase rancoeur, rien d’autre. Eric Zemmour est fondamentalement réactionnaire, au sens premier du terme. Globalement, son mode de pensée est le suivant: « C’était mieux avant. » Maintenant, tant qu’il reste dans le cadre de la loi, on peut me raconter ce qu’on veut. Comme l’ensemble des sociétés européennes, la société française vieillit et traverse une période de doute identitaire. Zemmour exprime ces inquiétudes et les fait vivre avec, de mon point de vue, beaucoup de talent. »

Liquidons le procès de la rancoeur. Le mot est employé pour disqualifier la pensée. Seul problème: il est faux parce qu’il ne correspond en rien à mon esprit. La rancoeur, dit le dictionnaire, est une émotion nourrie par un sentiment d’injustice, ou une déception. Rien de tel n’existe pour moi vis-à-vis de RTL. Je n’ai jamais pensé être victime d’une injustice à partir du moment où la station a fait le choix d’un autre intervieweur. Quant à la déception, si elle a existé, je n’en suis même pas certain, il y a longtemps que je l’ai digérée.

Donc, je n’ai pas qualifié Eric Zemmour de représentant majeur d’une pensée rance par ressentiment personnel mais tout simplement parce que la formule me paraît parfaitement résumer la substance de cette pensée.

Yves Calvi, pour sa part, et le débat de fond est plus intéressant que les imputations personnelles, qualifie son chroniqueur préféré de réactionnaire, adepte finalement d’un adage qui ne mange pas de pain, « c’était mieux avant », et le dépeint ainsi, grâce à ce savant ripolinage, comme un homme sympathiquement nostalgique. A l’évidence, rien n’est plus faux. Eric Zemmour ne baigne pas dans la langueur des personnes qui pleurent le temps passé. Il est au contraire dans le combat de ceux qui veulent construire le futur et on peut comprendre la gêne que cet état d’esprit procure à Yves Calvi car, volontairement ou par contrainte professionnelle, le voilà lui aussi associé à cette promotion de la pensée rance, mais très active, dont il convient de détailler le contenu.

N’allons pas chercher plus loin que l’actuelle crise des migrants. Sur RTL et ailleurs, le chroniqueur explique volontiers que les gens qui se présentent à nos frontières sont des lâches et des déserteurs car, explique-t-il, quand il y a la guerre dans son pays, on se bat, on ne fuit pas. Le manque d’humanité dans l’analyse et le propos qui l’exprime est proprement effrayant. Il n’est que la traduction d’autres sentiments, d’ailleurs évoqués par le chroniqueur dans de multiples chroniques, qui sont la peur de l’envahissement, de la déferlante, de la submersion du peuple français menacé de disparaître sous la vague migratoire. Ceci n’est pas une posture passéiste et nostalgique mais bien un discours agressif de rejet de l’autre dont Yves Calvi ne semble pas avoir conscience, ou bien dont il ne veut pas avoir conscience.

Dans ce registre, en juin 2014, sur RTL, le chroniqueur a d’ailleurs déjà évoqué des « bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains, qui dévalisent, violentent ou dépouilles » les Français. Ces propos horribles, effrayants, attaqués en justice, non condamnés par cette dernière, sont suffisamment éloquents pour que l’on ne puisse pas, sauf si on ne veut pas les entendre, les qualifier de gentiment passéistes.

Toujours sur l’antenne de RTL, le chroniqueur a largement eu l’occasion, et à plusieurs reprises, d’expliquer que l’émancipation des femmes, dans le travail comme dans la vie amoureuse, était l’une des sources du déclin national, ce fameux suicide français qui fit naguère le bonheur des libraires. Là encore, on peut dissimuler l’embarras que procure ce genre de pensée sous une aimable couche de nostalgie, il n’en reste pas moins que cette posture est celle d’un combattant d’aujourd’hui qui souhaite que dans le futur le droit des femmes soit restreint.

La liste pourrait être longue des propos choquants d’Eric Zemmour paré de son voile nostalgique, mais puisque j’en suis là, je veux bien relater une scène qui fut la source d’une grosse déception.

A l’automne 2014, Eric Zemmour accorda un entretien au journal italien Corriere de la Serra qui fit grand bruit quand le contenu fut connu en France. Alors même que RTL ne se trouvait concentrée en rien par ce tohu-bohu, la station n’en décida pas moins d’organiser une interview pour que l’auteur des propos controversés puisse se défendre. Interrogé par Yves Calvi avec une complaisance peut-être obligée par son statut de chroniqueur sur l’antenne, Eric Zemmour balaya avec violence et mépris tous ces contempteurs, les accusant d’être à la fois des censeurs cherchant à le faire taire et des lâches ne luttant pour la survie de leur pays. Cet épisode, disons le pudiquement ainsi, servit davantage la cause de la propagande que du journalisme.

Voilà, presque tout est dit, sauf encore ceci. Par un étrange retournement de l’esprit, critiquer aujourd’hui la pensée d’Eric Zemmour est devenu pratiquement impossible. Et qui s’y risque se voit affublé de plusieurs tares, parmi lesquelles l’imputation de la rancoeur est une variante à laquelle il me semblait important de faire un sort. Car s’il y a un point sur lequel je suis d’accord avec Yves Calvi, c’est qu’il a bien du talent, Eric Zemmour. Hélas.