Valls, Aubry, Macron: trois figures du naufrage de la gauche

Peut-on parler de naufrage à propos du gouvernement Valls? La réponse est simple: oui

En une semaine tout s’est défait pour le premier ministre plein d’autorité et d’énergie qui dirige la France. Jusqu’alors, cahin-caha, il semblait maîtriser la boutique. Le débat sur la déchéance de nationalité, consécutif à l’horreur des attentats, avait bien altéré sa position, et dévoilé aussi la complexité de ses rapports avec le président de la République, mais tout le monde pensait que son bail à Matignon courrait jusqu’à la fin du mandat présidentiel, au printemps prochain. Désormais, c’est l’inverse: plus grand monde ne parie sur la longévité de Manuel Valls à la tête du gouvernement.

Le coup fatal, celui qui a brisé la majorité en mille morceaux, et pulvérisé la fiction d’une équipe unie sur l’essentiel sans laquelle aucun groupe humain ne peut diriger un pays, ce coup là a été porté la semaine dernière par Martine Aubry, auteure d’une tribune indiquant à propos de l’action gouvernementale: « Trop, c’est trop! »

S’est-elle bien rendue compte, Martine Aubry, des conséquences de l’expression publique de sa colère? D’un seul coup, elle a tué la majorité, ce qui n’a pas beaucoup de précédent dans notre histoire politique récente, et qui n’est explicable que par l’extrême faiblesse du système gouvernemental construit par Francois Hollande.

Cependant, il faut y insister: l’intention de la maire de Lille était d’obtenir une réorientation de la politique. Mais le sentiment prévaut aujourd’hui qu’elle a mal calculé sa sortie, et mal évalué sa force. Du coup, au lieu d’obtenir ce qu’elle recherchait, elle a, par la contestation radicale et violente de la politique menée depuis 2012, carbonisé Manuel Valls et signifié la fin du quinquennat de François Hollande. La déflagration est telle que l’on pourrait ajouter, au vu du champ de ruines, que la gauche toute entière, divisée, fracturée, perdue, honteuse d’elle même, a d’ores et déjà perdu l’élection présidentielle de l’année prochaine.

Quelle est, à cet instant, la situation de Manuel Valls? Sa principale faiblesse provient du sort qui sera fait au projet de loi de réforme du code du travail présenté voilà quinze jours. Disons, sans entrer dans les détails, que s’il en revoit assez substantiellement le contenu pour désarmer la contestation des syndicats et des étudiants, alors c’est son autorité et sa crédibilité qui seront questionnés. La question de la fin de sa mission sera posée, et il pourrait même être tenté alors d’anticiper un renvoi potentiel.

L’autre hypothèse serait que Manuel Valls persiste dans sa démarche en conservant les articles de loi qui nourrissent la contestation, et là il aura face à lui des manifestations de rues ainsi qu’une contestation profonde des députés socialistes qui finiront par créer une nasse dans laquelle sa fonction pourrait se noyer.

Cette extrême fragilité se repère déjà dans le fonctionnement de la machine gouvernementale. On note d’abord l’insolence croissante du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, décidé à ne pas sombrer avec le bateau.

Dans un numéro ahurissant, Emmanuel Macron s’épanche, directement ou par l’intermédiaire de personnes autorisées à le faire, dans les colonnes de l’OBS. Oui, il s’apprête à publier deux livres, un seul n’y aurait pas suffi, exposant sa doctrine, il en a une, et ses projets. Ah tiens, parlons-en de ses projets: si Francois Hollande ne se représente pas, il pourrait, lui, Macron, concourir à l’Elysée…

Mais le plus étourdissant est à venir. Évoquant la fameuse tribune-coup de canon de Martine Aubry, un proche du ministre, le député socialiste du Finistère, Richard Ferrand, déclare ceci parce qu’il y a été évidemment autorisé par le ministre:

« Sur l’Europe, la déchéance de nationalité, les migrants, Macron aurait effectivement pu signer la tribune. »

Défier aussi ouvertement le premier ministre est aussi rare qu’incroyable. Et constater l’impunité de l’insolent n’est pas le moins extraordinaire. A lui seul, ce constat résume la situation politique du moment: le premier ministre n’a plus d’autorité sur ces ministres; ceux ci contestent ouvertement sa politique; et certains, Macron et sans doute d’autres, imaginent leur avenir politique loin de Manuel Valls. Comment, en constatant tous ces dégâts, François Hollande ne réfléchirait-il pas au remplacement de Manuel Valls à Matignon?

D’autres sources de dérèglements doivent être mentionnées. Le remaniement médiocre effectué voilà trois semaines complique une vie ministérielle qu’il était censé fluidifier. La présence d’écologistes dans l’équipe bloque l’action gouvernementale dans l’interminable dossier de Notre-Dame-des-Landes, et la rend périlleuse sur la question de l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires. Étant donné la faiblesse de Manuel Valls, un clash sur ce dernier sujet est très possible.

On note d’ailleurs dans ce domaine de l’écologie l’incroyable loupé de Ségolène Royal qui laisse présenter au parlement un amendement dispensant les pollueurs de toutes réparations en cas de catastrophe écologique. Le tollé est tel que l’amendement a été retiré, et voilà Ségolène Royal, légère d’esprit comme à chaque fois qu’elle est confuse, incriminer ses services qui, dit-elle, se sont précipités. En voilà une dont on comprend qu’elle a déjà la tête ailleurs, sans savoir où précisément.

Enfin, dernier d’une liste qui n’est pas exhaustive, le ministre de l’agriculture apparaît extrêmement fragile, à cause bien sûr de la crise agricole, mais aussi du fait de sa fonction de porte-parole d’un gouvernement qui va à vau-l’eau.

Ce tableau d’apocalypse s’accorde assez bien d’une situation générale morose. L’économie demeure faible, incapable d’absorber les masses de chômeurs qui se désespèrent de retrouver un jour du travail. Les menaces du terrorisme, de la crise climatique, de la migration massive, se conjuguent pour introduire dans les esprits l’angoisse majeure d’une crise qu’aucun dirigeant politique ne paraît en mesure de maîtriser.

Car c’est l’autre aspect de la déprime française. L’offre politique est maigrelette, tristounette. Soit des chevaux de multiples retours, soit une magicienne qui imagine que sortir de l’Europe réglera tous nos problèmes, comme si les racines de nos difficultés ne se trouvaient pas dans l’hexagone mais à l’extérieur. Quant à la gauche, cela a déjà été dit, son atomisation sans précédent, fruit des haines recuites tout au long d’une histoire pavée de multiples mensonges, elle pourrait tout aussi bien décider de ne présenter aucun candidat au premier tour de l’élection présidentielle qu’elle ne manquerait à presque personne.

Un dernier mot sur celui qui surplombe ce champ de ruines: le président de la République. Sa responsabilité dans la désespérance collective est écrasante. La campagne électorale qu’il a menée en 2012 ne posait aucun diagnostic juste. Son action à la tête de l’Etat a été chaotique et contradictoire. Sa crédibilité aujourd’hui est si basse qu’une nouvelle candidature apparaît très compromise, à un an du renouvellement de son mandat.

Malgré ce désastre, il doit encore réfléchir à un éventuel nouveau premier ministre. Et on ne voit pas bien quel lapin il pourrait sortir de son chapeau pour espérer finir dans la dignité un quinquennat très mal engagé.