Il faut une commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire

Notre démocratie fonctionne mal. La crise que traverse actuellement EDF illustre nos faiblesses collectives et pour les comprendre, il est utile de déconstruire le feuilleton de ces derniers jours.

Premier épisode, dimanche soir, 6 mars. La nouvelle tombe d’une démission, exceptionnelle pour une entreprise aussi stable et solide, contrôlée à 85% par l’Etat, du directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal.

Deuxième épisode, le lundi matin 7 mars. Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Levy, explique à l’agence Reuters que la démission du directeur financier, aussitôt remplacé par son adjoint, est motivée par une divergence stratégique à propos d’un investissement colossal, 16 milliards d’euros, qu’EDF envisage de faire en Grande Bretagne, sur le site de Hincley Point, où doivent être construits deux EPR, des centrales nucléaires dites de troisième génération.

Troisième épisode, le midi de ce même lundi. L’Etat, par la voix d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie, réaffirme son soutien à la direction d’EDF et confirme le bien fondé du projet d’investissement à Hincley Point.

Épilogue: la Bourse sanctionne la secousse par une baisse du titre de plus de 6% en une seule séance mais, globalement, le coup de tabac paraît épongé avec une certaine facilité. La vie reprend, apparemment normale, pour l’entreprise et ses 160.000 salariés.

A ce stade, deux remarques doivent être faites.

D’abord, et ceci n’est pas anormal, le principal intéressé, Thomas Piquemal, a choisi de ne pas s’exprimer. C’est son droit, d’une part, et on peut comprendre d’autre part que le silence représente la meilleure façon de protéger ses intérêts personnels.

Mais du coup, la seule version dont nous disposons sur les raisons de cette démission est celle de la direction d’EDF, à laquelle s’opposait justement le directeur financier. Rien ne nous dit que la présentation des faits, telle qu’exposée par le PDG de l’entreprise, correspond bien à la réalité.

Et c’est là dessus qu’intervient le gouvernement. Sans demander, au moins publiquement, davantage d’informations, sans en donner non plus davantage s’il en possède, il avalise par l’intermédiaire d’Emmanuel Macron la version de la direction et fait en sorte, par une communication très minimaliste, de ramener cette démission au rang d’une péripétie.

Le résultat, en tout cas, est saisissant. Dès le lendemain, EDF disparaît des écrans radars de la presse. Tout paraît redevenu normal chez l’électricien et rien ne semble, pour l’instant, devoir être rajouté. Plus significatif, et plus inquiétant: pas un parlementaire, député ou sénateur, il en est qui se spécialisent dans les questions nucléaires, n’a pris la parole pour demander publiquement des éclaircissements, ou bien des compléments d’informations. On ne note pas non plus un propos construit, critique, insatisfait, d’un quelconque dirigeant écologiste, ou d’une figure de ce monde là, après la secousse qu’a connu l’entreprise publique.

Tout se passe donc, vingt-quatre heures après la démission surprenante d’un dirigeant important, comme si justement il ne s’était pas passé grand chose. Alors que nous savons tous que rien n’est anodin, aujourd’hui, dans ce monde du nucléaire français qui traverse une crise profonde et inquiétante.

Les éléments sont publics, largement relatés dans la presse ces derniers mois, aussi seront-ils rappelé ici brièvement.

Premier événement exceptionnel: la faillite d’Areva, inimaginable il y a quelques années, tant la filière nucléaire française paraissait solide, et indestructible. EDF de son côté accumule les mauvaises nouvelles. Le prix de l’énergie chute, et donc ses perspectives de recettes fondent. Côté dépenses, c’est l’inverse. Le financement de la rénovation de ses centrales existantes, du centre d’enfouissement d’Uranium de Bure, d’Hincley Point, de l’achèvement du chantier de Flamanville, de la gestion de sa dette colossale, tout cela, et on en oublie, dresse devant l’entreprise un mur vertigineux, probablement inédit pour une entreprise française, de milliards, que l’on peut compter par dizaines, au delà de la centaine.

On peut, raisonnablement, se poser la question de savoir si EDF survivra à l’épreuve. Il ne s’agit pas ici de faire du catastrophisme mais de s’exprimer avec mesure, au premier degré: on peut se poser la question de la survie d’EDF car, aujourd’hui, et aussi extraordinaire que cela apparaisse, cette question se pose.

Or, ce qui est remarquable, et qui montre notre dysfonctionnement démocratique: personne ne la pose. Du moins, personne qui aurait autorité pour le faire, personne qui, en la posant, parce qu’elle se pose, créerait un véritable événement.

Reprenons le fil des épisodes de la crise entamée dimanche. En étant le seul à donner la version de la démission de Thomas Piquemal, le pdg d’EDF se garde bien d’évoquer le tableau financier global de son entreprise, alors même que l’on peut penser que tous les éléments ont pesé dans la décision du démissionnaire.

Gommé par le PDG, ce tableau l’est également par le ministre qui se garde bien d’émettre le moindre doute. Il se contente de la version officielle, aussi étriquée paraisse-t-elle.

On aurait pu attendre d’un président de commission à l’Assemblée ou au Sénat un peu de curiosité, ou de pugnacité: mais que se passe-t-il réellement à EDF? Que signifie cette démission spectaculaire, inattendue? Eh bien rien, le silence, autant dire la démission de la part des élus du peuple.

Pour être honnête, les syndicats de l’entreprise manifestent leur inquiétude. Mais leur niveau d’information est faible, leur pouvoir d’alerte limité, et leur voix du coup est inaudible.

Quel est le risque de tout ceci? Quel danger courrons-nous? C’est assez simple, au fond.

Les désordres de la filière nucléaire sont tels, et la faillite d’Areva l’a bien montré, qu’un scandale majeur menace, celui qui verrait des milliards engloutis dans le brouillard de mauvaises décisions, des dizaines de milliers d’emplois détruits, un savoir-faire dilapidé. Peut-être est-il temps, ou nécessaire, que des mécanismes démocratiques se mettent en branle pour obtenir une expertise solide et indépendante sur la situation exacte de la filière nucléaire française. Cela permettrait d’anticiper une vraie catastrophe ou au moins, de prévenir les esprits de son éventualité, si ce n’est de son imminence.

Rien n’est pire dans une démocratie que ces scandales qui couvent longtemps et qui, lorsqu’ils éclatent, suscitent ces questions délétères: saviez-vous? Pourquoi n’avez-vous rien fait?

Ces épisodes, quand ils se produisent, affaiblissent l’autorité, la responsabilité, et détruisent la confiance au plus profond des esprits citoyens.

Pour prévenir ce mal, il existe une solution simple. Qu’un député se lève, ou deux, ou dix, et reclament une commission d’enquête. Ceci dissiperait le silence et le sentiment de connivence autour de ce secteur majeur du nucléaire en France.