Le souverainisme, une idée loufoque qui fait son chemin

Écrire un papier sérieux en plein cagnard est sûrement très malvenu. Prenons donc ce qui suit comme une aimable blague estivale sans vraie conséquence.
Au cœur de l’actualité de ces derniers jours, la crise agricole a capté l’attention de tous. La projection d’une France sans paysans est inimaginable dans ce pays où la nature est peignée par la main de l’homme depuis des siècles.

Et pourtant, l’économie est en train d’étrangler une à une toutes ces fermes qui sont trouvent au cœur de l’identité nationale.

Confronté à cette crise qui vient de loin et qu’il ne semble pas avoir vu venir, le president de la République et son premier ministre ont explicitement formulé ce conseil en guise de remède: il faut que les consommateurs francais achètent de la viande francaise. Ajoutez 600 millions d’euros pris on sait où, et vous avez la réponse conjoncturelle à un problème structurel.

Ce qui trouble ici, c’est bien évidemment la préférence nationale à la bidoche. Passons rapidement sur le fait que le conseil est inopérant. Pour aller au bout du chemin nationaliste, le president de la République aurait dû décréter la fermeture des frontieres hexagonales à la viande allemande, polonaise ou tchèque, et remettre partout des petits douaniers à pantalons galonnés de rouge. Comme il s’est arrêté en route, le conseil demeure virtuel et donc sans effet.

Çe qui reste en revanche, c’est la concession faite au souverainisme: chers Francais, mangez Francais. Et cela mérite qu’on s’y attarde.

Le souverainisme en France est un courant de pensée en pleine ascension. Il s’exprime aussi bien à la droite qu’à la gauche de l’échiquier politique et diffuse ces idées au sein de tous les partis, y compris parmi ceux qui se prétendent ses adversaires, ce qui n’aide pas à la clarté du débat et profite en réalité au seul souverainisme.

Çe courant est aujourd’hui sans véritable adversaire. Allez donc nommer ce qui s’opposent à lui… Libéraux? Atlantistes? Européens? Pratiquement personne ne se définit ainsi aujourd’hui sur la scène politique francaise.

Les souverainistes, en revanche, possèdent tout un tas de qualificatif pur ceux qui, ici où là, partiellement, tentent de leur tenir tête. Dans le désordre de l’inspiration: vendus aux Americains, européistes, eurobêats, bobos, gauchistes, ou, plus raffiné, idiot utile, car le souverainiste a des lettres et de la profondeur historique et il tient à la faire savoir en étalant aussi largement les dates et les faits que les enfants de la confiture sur leur tartine.

Le souverainisme a donc l’arrogance de son triomphe et manie assez facilement l’ironie ou l’injure pour disqualifier ses adversaires. Tout est donc réuni pour que l’on puisse qualifier aujourd’hui le souverainisme de courant dominant en passe de devenir la nouvelle pensée unique d’une France perdue dans le dédale de la mondialisation.

Outre des représentants politiques désormais bien connus et installés dans le système, le souverainisme est porté dans la société par des intellectuels nombreux et divers qui ont tous un point commun: la loghorée des exclus du système à qui personne ne donne la parole, plainte efficace qui leur a ouvert depuis longtemps la porte de tous les médias à toutes les heures de la journée.

Leurs arguments sont à l’image de leurs attitudes: d’une bonne foi aussi douteuse que contestable.

Sur le fond, d’abord. Prôner le protectionnisme pour résoudre les problèmes sociaux qu’engendre la crise économique peut se révéler à l’usage catastrophique.

Premier point: le protectionnisme ne correspond pas au génie francais qui s’exportent remarquablement de puis des décennies: industrie des transports avec le train ou le métro, industrie automobile, BTP, assainissement des eaux, aéronautique, nucléaire…

Invoquer le protectionnisme, en vérité, c’est être contre la France. D’où le complément chafouin d’un protectionnisme intelligent, argument à peu près équivalent à celui employé par ceux qui évoquent des Talibans modérés pour faciliter des négociations honteuses.

Il faut en fait comprendre l’évocation du protectionnisme de manière très différente. Ceci permet de construire un discours d’évitement comme il en existe mille en France, pour éviter en l’occurrence de poser les questions clé de la compétitivité, sur laquelle nous avons beaucoup moins travaillé que nos voisins qui nous piquent des parts de marchés, et sur notre modèle social que nous n’arrivons plus à financer autrement que par la dette, ce qui nous mettra prochainement dans la situation de la Grèce.

Donc, le protectionnisme est un leurre, pratiquement un mensonge, sur lequel prospère gaiement un souverainisme que plus personne ne parvient, ou n’ose contrer.

Il faut dire que les constructions intellectuelles, je me demande si le mot n’est pas un peu abusif, des souverainistes sont intimidantes. Par exemple, ils en appellent toujours au peuple: on n’écoute pas le peuple, le peuple se révolte, et patati et patata, le peuple, le peuple…

Dégonflons la baudruche. Le peuple n’existe pas en tant qu’entité homogène. Le peuple est composé d’individus qui ne sont pas d’accord entre eux sur bien des points et qu’il est tout à fait abusif d’instrumentaliser comme un tout cohérent.

De manière plus raffiné, les mêmes subdivisent le peuple en séparant les élites du peuple lui-même. Attitude intellectuellement risible, fausse et cocasse.

L’appartenance au peuple, d’abord, ne se déduit pas de la classe sociale à laquelle on n’appartient. Qu’il soit riche ou pauvre, beau ou laid, intelligent ou stupide, un individu possédant la nationalité française appartient au peuple francais. Point.

Par ailleurs, ceux qui opèrent cette distinction foireuse appartiennent tous à la soi disant élite. Ce sont des universitaires, des journalistes, des responsables politiques, qui prétendent exclure du peuple une catégorie à laquelle ils appartiennent. C’est en ceci que le souverainisme est franchement loufoque.

Enfin, dernière dichotomie artificielle pour la route. Certains. Dans le souverainisme moderne distinguent Paris de la province, vieil argument de la royauté et de ses thuriféraires qui pour le coup avaient peur du peuple de Paris. En reprenant cet argument, le souverainisme à la francaise montre bien qu’il est une vieille baderne.

Voici donc ma contribution au débat estival. Je ne doute pas qu’elle me vaudra de nombreux amis et ce sera bien ainsi.

Ultime confidence: Europe Midi approche et je suis en super forme.