RTL, douze ans plus tard…

Les pages d’une vie se tournent parfois sans que l’on s’y attende.

Neuf années de présence au Grand Journal se sont terminées au mois de juin. J’ai évoqué mes sentiments à ce propos dans un billet précédent et je dois a l’honnêteté d’écrire que j’étais préparé à cette issue. D’une part parce qu’un cycle naturel me paraissait épuisé, et d’autre part parce que le producteur du Grand Journal, Renaud Le Van Kim, m’avait informé de sa volonté de renouveler le tour de table de l’émission en considérant, qu’elle que soit la qualité de notre relation personnelle, que mon départ était une des conditions de ce renouvellement. Il ne fut pas étonné de constater que je partageais son analyse.

La décision de la direction de RTL de ne plus me confier l’interview politique de la station au début de la saison 2015 m’a surpris davantage. Traditionnellement, vers la mi-avril, un message m’était adressé pour me signifier que la maison comptait sur moi pour la saison suivante. Cette fois, à la mi-mai, rien n’avait encore été fixé et quand je me suis soucié de mon avenir, il m’a été dit qu’il n’était plus souhaité que je continue cet exercice stratégique pour une radio généraliste comme RTL. Toutefois m’a-t-on assuré, le désir de la direction était que je poursuive mes interventions sur l’antenne, mais dans un cadre qui ne m’a pas paru pouvoir être accepté.

Nous avons donc décidé de nous séparer, et c’est après nous être entendus sur le principe de cette séparation que j’ai pris contact avec Europe 1 où je présenterai à la rentrée Europe Midi, deux heures d’informations de 12 heures à 14 heures, opportunité très excitante pour un journaliste, et exercice entièrement nouveau pour moi.

Je ne sais pas pourquoi l’exercice quotidien, une interview politique à 7h50, que je pratiquais depuis le 25 août 2003, s’est arrêté. Je ne me sentais ni lassé de l’exercice, ni blasé par sa répétition. Je me projetais dans un futur que j’imaginais ainsi: poursuivre l’interview politique jusqu’à l’élection présidentielle de 2017, puis si cela avait correspondu à une possibilité sur RTL, occuper cette place qu’au fond de moi je convoite depuis longtemps, et que j’adorerai exercer un jour, celle d’éditorialiste politique.

Cette projection là n’a pas résisté à la décision de la direction de RTL. Et quels que soient les sentiments qu’elle m’a procuré, elle s’est imposée comme une évidence sur laquelle il était inutile d’épiloguer. C’est ainsi qu’ont pris fin, entre la station et moi, une relation féconde et enrichissante, vieille de douze ans.

J’ai commencé mon métier de journaliste politique à l’hiver 87-88. Dans mes débuts, je n’ai jamais imaginé faire du journalisme à la télévision ou à la radio. Mon énergie et ma volonté étaient toutes entières tournées vers la presse écrite qui me semblait seule intéressante pour la construction d’un parcours professionnel. C’est ainsi que j’ai successivement travaillé à Politis, puis au Journal du Dimanche, à Libération, au Parisien, à L’Express et au Monde.

Le passage clé, pour expliquer ma bifurcation vers la radio, est celui du Parisien, où j’ai travaillé comme journaliste politique entre 1992 et 1996.

A l’époque, le directeur de la rédaction du Parisien s’appelait Noël Couëdel. Ancien journaliste sportif, ancien directeur du journal L’Equipe, qu’il avait brillamment relancé, il avait accepté la proposition des responsables du groupe Amaury, propriétaire à la fois de L’Equipe et du Parisien, de rénover ce dernier titre qui battait sérieusement de l’aile. C’est dans le cadre de cette rénovation que j’ai été embauché par Noel Couedel en février 1992

Vers la fin de 1993, dans la perspective de l’élection présidentielle de 1995, Le Parisien s’est associé avec France Inter pour produire une émission politique hebdomadaire intitulée « Objection », diffusée le mercredi soir et présentée par Gilbert Denoyan.

Plusieurs journalistes de la rédaction du Parisien ont été testés pour représenter le quotidien, et finalement, la direction de France Inter a souhaité que je sois le journaliste régulier du journal dans l’émission. Cela m’a permis d’une part de me familiariser avec la radio et aussi de mieux connaître et d’apprécier les dirigeants de France Inter, et notamment Jean-Luc Hess.

C’est ce dernier qui, en 1999, m’a proposé de prendre la tête du service politique de France Inter. J’ai beaucoup hésité devant cette proposition. A l’époque je travaillais au journal Le Monde, sous la direction avisée d’Edwy Plenel, lequel paraît avoir gommé cette relation de ses souvenirs, ce que je trouve plutôt amusant.

A l’époque, je suivais le travail effectué par Matignon sous la houlette de Lionel Jospin, et ce poste d’observation était formidablement excitant. L’abandonner pour aller diriger le service politique de France Inter a été un crève-cœur, mais finalement la perspective du renouvellement et la découverte l’ont emporté.

Parallèlement, la trajectoire de Noel Couedel, mon ancien patron du Parisien, l’a porté de ce journal à la direction de RTL, après un court passage dans le groupe Canal où il a assuré le lancement de la chaîne I Télé.

A la tête de RTL, Noël Couedel me contacte au mois d’avril 2003 pour me proposer de succéder à Ruth Elkrieff pour assurer l’interview du matin, à 7h50.

Je nous revois tous les deux, au fond de la salle d’un bistrot, pour évoquer notre projet. Voici restitué de manière presque fidèle notre dialogue:

– Accepterais-tu de faire cette interview?, me demande Couedel.

– Bien sûr, Noel, réponds-je sans une seconde d’hésitation alors même que mon ventre se noue affreusement à cette perspective.

– Mais est-ce que tu sauras faire?, me demande-t-il visiblement inquiet.

– Je n’en sais rien, et personne ne le sait vu que je ne l’ai jamais fait.

Effectivement, je n’avais jamais réalisé d’interview auparavant, les interventions sur l’antenne de France Inter ayant été exclusivement effectués sous la forme de papiers, d’analyses ou d’éditoriaux. Il a donc fallu un sacré culot à Noel Couedel, et je lui en suis infiniment reconnaissant, pour aller jusqu’au bout de sa démarche en me confiant la responsabilité de cette interview prestigieuse.

Le 7h50 de RTL est une marque, une référence, dans l’univers médiatique. La force de la radio permet de solliciter tous les grands acteurs du débat public, en France bien sûr, et aussi, dans un univers proche du notre, à l’étranger.

Ce métier est particulier, et j’en ai appris sur le tas les ressorts principaux. Il faut à la fois anticiper certains événements et réagir très vite aux changements de l’actualité, dont il faut avouer qu’ils sont nombreux. Ce travail demandé une grande disponibilité et aussi un certain sang-froid.

Je me souviens, dans une circonstance particulière, avoir traqué le bon invité jusqu’à deux heures du matin, pour une prise d’antenne à 7h50.

Et ceci aussi, en 2004: alors que le monde entier attendait des nouvelles de Yasser Arafat, hospitalisé en France, Leila Chahid, représentante de la Palestine en France, m’a appelé à 6 heures du matin pour savoir si elle pouvait venir, deux heures plus tard, livrer des informations qu’elle seule pouvait donner. Répondre non eût été une faute professionnelle et dire oui a représenté une excitation formidable.

Les souvenirs liés à cet exercice sont nombreux, certains amusants, d’autres émouvants, parce que situés à des moments où l’actualité était dramatique ou angoissante. Certains invités ont été prodigieux par leur générosité, d’autres ennuyeux par leur conformisme ou leur artificialité.

2582 personnes se sont ainsi succédées dans ce prestigieux temps radiophonique d’une longueur calibrée sur sept minutes. Ceci peut paraître court mais c’est suffisant pour interroger un acteur de l’actualité susceptible d’intéresser un auditeur. La longueur dilue le propos, la brièveté peut le densifier.

Dans la position qui était la mienne, l’essentiel ne m’a jamais paru être dans les questions mais dans les réponses. C’est pour cette raison que j’ai souvent expliqué qu’il était important de savoir poser des questions avec lesquelles on est soi même en désaccord. Ceci pour ceux qui ont pensé que j’étais de droite ou de gauche. Et il m’a aussi semblé important de répéter qu’une interview réussi était celle où l’on ne gardait pas le souvenir du journaliste, preuve de la présence et de la qualité de l’invité.

Un des reproches qui m’a été fait était de trop interrompre un invité. Je n’ai, à la vérité, jamais compris cette remarque. Quand vous posez une question et que celui qui est censé y répondre l’ignore complément pour parler d’autre chose, vous ne pouvez pas le laisser continuer son discours. Vous êtes obligé de le remettre sur les rails pour cette seule raison qu’une interview professionnelle n’a rien à voir avec une aimable conversation.

Je peux bien le dire ici: je me suis amusé pendant douze ans, j’ai trouvé cet exercice fabuleux et excitant, j’ai aimé me lever tous les matins pour le faire et j’ai accepté avec bonheur de m’angoisser les jours où trouver le bon invité était aussi difficile que traquer l’or dans une rivière lointaine.

J’ai effectué ce travail dans cet état d’esprit pendant douze ans parce que tout au long de ce bail j’ai été soutenu par la direction de RTL. On ne peut pas réaliser ce type d’interview sans la confiance de ceux qui dirigent le média que vous représentez. Je remercie donc les dirigeants de RTL qui se sont succédés durant cette période: Robin Leproux, Axel Duroux, Christopher Baldelli.

Ce type d’aventure professionnelle a nécessairement un terme. Au fond du fond, je crois que la fin est rarement heureuse. Les circonstances différent d’une histoire à l’autre, mais toujours une pointe désagréable vient vous chatouiller quand le moment vient où les choses s’arrêtent.

Tous comptes faits, je m’estime très heureux des tours et détours de ma vie professionnelle. J’ai appris beaucoup de choses à RTL, sur moi et les autres, sur mon métier et sur le débat public, et j’éprouve de la reconnaissance pour tous ceux qui m’ont permis d’emmagasiner ces connaissances.

La vie continue . Pour RTL, à qui je souhaite le succès, et pour moi, à Europe 1, où se profile une aventure formidable dont je vous entretiendrai probablement, entre deux bronzettes, dans quelques jours.