Donald Trump, le miroir de la France rance

Candidat à l’élection présidentielle américaine, Donald Trump étonne, détonne et effraie aussi. Raciste, sexiste, populiste, le candidat n’a que des connaissances très approximatives en matière de politique étrangère et l’idée de le voir diriger la première puissance mondiale, armes nucléaires et droit de veto aux Nations-Unies à la clé, ne peut que représenter un cauchemar pour l’ensemble du monde occidental.

Pour ces raisons, aucun responsable politique français ne souhaite, du moins pour l’instant, la victoire de Donald Trump. Malgré tout, certains de ces responsables politiques ont du mal à condamner la démarche, les attitudes, les propos du milliardaire américain.

En effet, il représente ce dont eux mêmes rêvent depuis des années, et tentent laborieusement de mettre en place: une contestation brutale et sans nuances des institutions, une dénonciation de la soi-disant « pensée unique », une remise en cause du travail des journalistes. Ils en rêvent, et « Donald » le fait… Alors quand on les interroge, ces responsables politiques français se pincent un peu le nez, mais bon, pas si mal que ça, quand même, Donald Trump…

Parmi eux, Le vice-président du Front national, Florian Philippot, cité dans le journal Le Monde du 24 février:

« Quand on voit Trump et Sanders qui sont en forme côté républicain et démocrate, ça prouve que là aussi, il y a une remise en cause de l’establishment. »

La formulation est habile. Florian Philippot valide par les Etats-Unis, pays pourtant vilipendé par les dirigeants frontistes, la contestation que le FN mène en France contre « l’establishment ». Mais pour montrer que celle ci est profonde, globale, il dilue l’effet Trump en le mélangeant avec Bernie Sanders, ce qui lui évite de trop se salir les doigts avec Le milliardaire américain.

Ce mélange, Florian Philippot le sait bien, est abusif. Donald Trump est un authentique populiste, devenu célèbre dans son pays grâce à une émission de télé-réalité. A l’inverse, Bernie Sanders est un apparatchik comme les USA, et aussi le Front national, en produisent des dizaines. Et le candidat démocrate a indiqué clairement, dès le début des primaires, qu’il se rallierait à Hillary Clinton si celle ci le devançait lors des primaires, ce qui montre son respect des partis et des institutions. Ceci est l’exact inverse de Donald Trump qui se moque comme d’une guigne du parti républicain et qui a formulé à plusieurs reprises la menace de se présenter en candidat indépendant à l’élection présidentielle américaine.

Le seul donc qui conteste frontalement et brutalement « l’establishment », pour reprendre cette appellation de propagande, c’est bien Donald Trump. Et s’il n’éprouvait pas une forme de honte à le faire, Florian Philippot serait honnête en soutenant clairement la démarche du milliardaire américain pour la seule raison qu’il fait là bas ce que le FN veut faire ici.

Un autre aspect du combat que mène Donald Trump aux Etats-Unis séduit les cadres du Front national. Voici, pour le comprendre, une déclaration faite fin février par Nicolas Bay, le secrétaire général de ce parti:

« Trump est moins caricatural que la façon dont il est présenté. Quand on voit la campagne américaine, on se dit que les propos sont beaucoup plus libres. Il y a une police de la pensée en France qui n’existe pas aux Etats-Unis. »

A elle seule, cette déclaration est précieuse car elle témoigne de l’écartèlement psychologique dans lequel vivent les dirigeants du Front national.

Dans un premier temps, Nicolas Bay tente de sauver Donald Trump de sa soi-disant « caricature », installée du coup par on ne sait qui. Dénoncer une caricature, c’est assurer en creux que le personnage vaut mieux que la description qui en est faite. Le voilà de ce fait probablement plus fréquentable qu’on ne l’imagine. Et on comprend alors qu’en évoquant Donald Trump, Nicolas Bay parle surtout de lui-même et de ses amis du FN…

Mais dans la phrase qui suit, les vieux démons frontistes ressurgissent. Ce qui est formidable avec Trump, dit Nicolas Bay, c’est sa liberté de langage, une liberté que personne ne peut dompter puisque il n’y a pas, là bas, une « police de la pensée » comme ici… Pas mal, finalement, cette Amérique, hein…

Voilà bien la grosse frustration des dirigeants du Front national: ils se sentent brimés, empêchés de dire ce qu’ils veulent, et donc ce qu’ils pensent.

La « police de la pensée » évoquée par Nicolas Bay, c’est un arsenal de lois qui empêche, en France, un acteur de la vie publique de tenir des propos explicitement antisémites, homophobes, racistes… Et c’est là une vieille rengaine de la France rance: en France, nous ne sommes pas libres.

La théorisation la plus explicite de cet état d’esprit a été faite récemment par Eric Zemmour dans son livre « Le suicide français » (Albin Michel). A la page 65 de l’ouvrage, il indique:

« 1er juillet 1972. La loi Pleven: la fin de la liberté d’expression en France. »

L’outrance de la formule est remarquable, tant par son caractère mensonger que par la désinformation qu’elle véhicule. La liberté d’expression est évidemment une réalité en France. Et s’il en fallait une, la preuve est apportée par Eric Zemmour lui même dont personne ne peut dire sans rire qu’i, est interdit de parole.

Pourquoi, alors, cite-t-il, cette loi Pleven? Parce que, c’est un fait, elle a élargi le champ des poursuites judiciaires possibles à « la provocation à la discrimination ou à la violence » envers des individus ou des groupes. Autrement dit, cette loi a civilisé le débat démocratique en empêchant les insultes collectives et les amalgames dangereux. Parler, à son propos de « police de la pensée » est à la fois déplacé et inquiétant.

Par ailleurs, chacun peut constater, et convenir, que les dispositions de cette loi n’ont ni empêché, ni contrarié, l’essor électoral du Front national. Elle interdit juste à ses dirigeants de se vautrer dans l’odieux et dans l’infâme, ce qui visiblement les indispose et les empêche de comprendre que ce texte les protège d’eux-mêmes et de leurs penchants nauséabonds.

Nicolas Bay, en tout cas, demeure hermétique aux bienfaits de la loi Pleven. Le seul sentiment qu’il exhale est celui de la jalousie, partagée, on l’imagine, par d’autres dirigeants du FN, de voir s’ébattre Donald Trump en toute liberté dans le débat politique américain et tenir des propos racistes à l’égard des Mexicains ou des musulmans, sans que quiconque puisse lui demander des comptes. Mon Dieu que l’Amérique, pourtant sévèrement semoncée par Marine Le Pen qui a l’antiaméricanisme primaire, peut parfois être belle!

C’est ainsi que, dans la culpabilité certes, se tisse par delà les mers une forme de fraternité entre le milliardaire américain et les dirigeants frontistes. Lui dit tout haut, parce qu’il en a le droit et parce qu’il en a le courage, ceux qu’eux ne peuvent exprimer tout bas, et pourtant, croyez le, ce n’est pas l’envie qui leur manque.

Dans la catégorie, « Trump n’est pas un modèle, mais ce qu’il dit n’est quand même pas mal », se trouve également Laurent Wauquiez, viçe-presid’t délégué des Républicains. Si le personnage le laisse dubitatif, il l’inspire aussi. Voici ce que déclarait Laurent Wauquiez, le mercredi 2 mars, sur France2:

« C’est quelqu’un qui a une forme de parole très directe (…) les gens, globalement, dans les démocraties, ne veulent plus de filet d’eau tiède, d’une espèce de politique insipide qui dit à chacun ce qu’il a envie d’entendre. »

Les formulations sont curieuses. Quand donc les « gens », en l’occurrence les citoyens français, ont-ils accepté le filet d’eau tiède politique qu’évoque le vice-président des Républicains? Pour décrocher l’Elysée, jadis, Francois Mitterrand avait dû promettre la lune, et après lui, de la même manière, Jacques Chirac. Naguère, et Laurent Wauquiez ne l’a pas oublié, le candidat Sarkozy s’est autopropulsé « anti filet d’eau tiède » et partisan de la « rupture » pour accéder à la présidence de la République, et quand il a voulu l’en déloger, François Hollande s’est, lui, déclaré « ennemi de la finance », pas moins.

Franchement, s’il y a un pays où l’eau politique n’est pas tiède, c’est bien la France. C’est même l’inverse: en général, les candidats font intensément bouillir l’eau pendant leur campagne électorale avant, invariablement, d’infliger de sacrées douches froides aux crédules qui ont gobé tout crû leurs promesses. Quand on a ceci en tête, on peut qualifier, à minima, de fantaisiste la réponse de Laurent Wauquiez concernant Donald Trump.

Demeure l’essentiel dans la déclaration du dirigeant des Républicains, cette extase exprimée à propos d’un candidat capable, et libre, de dire tout et n’importe quoi à une tribune, devant des militants déchaînés.

« Jouir sans entraves » était l’un des slogans de ce mai 68 aujourd’hui honni par les tenants de la France rance. Et pourtant, c’est bien celà qui fascine certains professionnels de la politique française quand ils assistent au spectacle exceptionnel que leur offre Donald Trump.

Vu d’ici, c’est-à-dire des rives de ce vieux et cher pays gaulois, on pourrait dire que Donald Trump ressemble à un yankee de la pire espèce, un gueulard opportuniste et dangereux, qui plus est riche à milliards, ce qui n’est jamais facile à porter en politique. Pourtant, et très curieusement, c’est avec ces caractéristiques qu’il parvient à intéresser et à attirer certains de nos compatriotes obnubilés par la dénonciation de la « pensée unique » et du « politiquement correct ».

On peut dire de Donald Trump qu’il est un miroir. Pour la plupart d’entre nous, l’image qu’il renvoie est de la plus parfaite laideur. Mais quelques-uns des nôtres y perçoivent aussi un charme singulier, celui de la transgression et de l’interdit, qui les stimule pour le combat singulier qu’ils mènent dans la France d’aujourd’hui.