La campagne impossible de Jean-Yves Le Drian

Disons-le nettement: la candidature de Jean-Yves Le Drian à la présidence de la région Bretagne est décevante, non pas pour le résultat du scrutin dont on se moque totalement, mais pour ce qu’elle dévoile d’incompréhension des valeurs de la République et des servitudes attachées à la fonction de ministre de La Défense.


Dans l’emploi du temps de Jean-Yves Le Drian désormais, le tragique va côtoyer le futile. Le futile, c’est ce temps de la campagne électorale, les marchés, les meetings, les interviews, un temps probablement conséquent pris sur le tragique de sa fonction, des femmes et des hommes engagées au nom de l’armée française dans des combats et des conflits ou certains d’entre eux risquent leur vie pour défendre les intérêts de la Nation.

En elle même, isolée de tout le reste, cette cohabitation a quelque chose d’indécent. On aurait pu attendre d’un ministre de La Défense engagé dans des conflits complexes et dangereux qu’il consacre tout son temps, absolument tout son temps, à la tâche écrasante que représente sa fonction dans ce moment particulier, afin que sa disponibilité soit totale, entière, absolue, pour faire face aux coups du destin ou aux demandes urgentes ou moins urgentes de toute la chaîne de commandement qui participe aux actions militaires. Pas une minute, une seconde, ne devrait être distraite de cette obligation. Et jamais, jamais, le président de la République n’aurait dû accepter qu’il en soit autrement.

Au delà de la pétition grandiloquente qui précède, évoquons la trivialité de l’agenda ordinaire d’un ministre de la Défense engagé dans une campagne électorale.

Cette campagne réclame une présence effective sur le terrain, en l’occurrence la Bretagne, une présence qui ne s’improvise pas, et qui donc se prépare. Imaginons que le vendredi et le samedi d’une prochaine semaine soient consacrés tous les deux à la campagne électorale. Le matin du vendredi, un marché à Paimpol ou à Douarnenez, puis à midi, un apéritif avec des militants, l’après-midi, une ou deux visites de sites représentatifs de l’activité économique ou culturelle de la Bretagne, et puis le soir, un grand meeting, pour galvaniser les troupes et impressionner les médias. Et le samedi, rebelote, à peu de choses près, et que voilà une campagne bien ficelée.

Dans cette mécanique huilée, les grains de sable peuvent être innombrables pour un ministre de la Défense dont les troupes sont engagées sur des théâtres lointains et dangereux. Imaginons, mais ce ne sont pas des élucubrations, qu’un combat prenne une mauvaise tournure au Mali, ou bien qu’un avion s’écrase avant ou après un bombardement en Syrie. La nouvelle surprend le ministre au moment même où, la ballade sur le marché venant de se terminer, et quel succès M. le ministre, vraiment vous êtes populaire, il s’apprête à repartir vers la ville distante de vingt kilomètres ou l’attendent les militants.

Le drame est là, apportée par cette voix blanche au téléphone, et le ministre ne sait que dire et que faire. Bien sûr, sa présence à ce moment critique serait utile à Paris, mais le voilà à 500 kilomètres de son lieu de travail, dans la campagne bretonne certes charmante mais peu adaptée pour une tâche qui suppose de s’informer en temps réel de ce qui est en train de se produire et qui engage l’armée de la Nation au Mali ou en Syrie. Bien sûr, il pourrait rentrer en deux heures, ou trois, une base militaire proche lui fournissant l’occasion de prendre un avion qui le ramènera urgemment à Paris. Mais cela signifie qu’il faut planter toute sa campagne, ses soutiens, les meetings , la presse, le reste, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le résultat final.

Comment notre homme gérera-t-il cet écartèlement? À quoi, à qui, donnera-t-il la priorité? Et d’ailleurs, que sauront les citoyens de ces tiraillements? Probablement rien. Non, les citoyens ne sauront pas que dans cette période critique, le minisere de La Défense aura été peu ou mal géré, parce que tout sera fait pour cacher et dissimuler.

Voilà bien ce qui n’est pas acceptable. Que le pouvoir organisé dans la République se mette dans une telle situation, qu’il ne sache pas distinguer ce qui est fondamental et accessoire dans la vie sociale, qu’une équivalence soit faite, de fait, entre des actions guerrières contre le terrorisme dont dépend l’avenir de la Nation, et le résultat d’une action locale qui n’intéresse que le parti socialiste aux abois et prêt à tout pour éviter une déculottée électorale, jusqu’au débauchage d’un ministre de La Défense en guerre.

Est-il possible de laisser faire cela sans s’indigner? Est-il anormal de demander au président de la République de rappeler son ministre à ses devoirs? Est-il raisonnable d’imaginer que le simple bon sens, c’est à dire la conscience des intérêts de la République, s’impose enfin à tous?

Ces questions sont naïves, oui, mais rien n’est pire pour la Republique et l’ordre démocratique que le cynisme et l’absence de ressource morale.