L’incompréhensible démarche d’Emmanuel Macron

La politique n’est pas un jeu. Et c’est peut-être cela qui est dérangeant quand on observe la démarche du ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Sa décontraction, son naturel qui confine parfois à la légèreté, son sourire et son allant, tout montre qu’il vit pleinement le bonheur de sa jeunesse en mettant en scène ses ambitions sur la scène politique.Le porte-à-porte qu’inaugurent ces jours-ci ses partisans illustre bien les faiblesses du ministre de l’économie. Selon son propre aveu, le contact noué avec les Français à l’occasion de ce démarchage doit permettre, je cite, « de poser un diagnostic sur ce qui ne va pas en France. »

La formule est étrange, artificielle et suscite, pour cela, beaucoup de questions. A l’endroit où il est, c’est-à-dire Bercy, extraordinaire poste d’observation de la société française, et après avoir passé deux années à l’Elysée comme secrétaire général adjoint du président de la République, Emmanuel Macron a-t-il vraiment besoin de cette mise en scène un peu vaine pour savoir ce qui ne va pas en France?

Et puis, si l’on glisse dans son raisonnement qui pourtant ne tient pas vraiment debout, qu’espère-t-il comme résultat? Les femmes et les hommes qui frapperont aux portes lui feront remonter tout un tas de doléance, de l’aigreur à grosse pelletée, des tonnes de colère, de frustration, du désespoir. Ne voit-il pas le pays? Ne l’entend-il pas? Ne sait-il pas qu’en France presque rien ne va?

Et quand il aura réuni cette matière, ne se sentira-t-il pas un peu responsable du résultat? Ne risque-t-il pas de s’entendre dire, au moment où il publiera le contenu de sa gigantesque enquête, qu’il est, à sa place, lui aussi responsable du désastre?

Quand, par exemple, des Français qui auront ouvert leur porte se plaindront de boucler difficilement les fins de mois parce que leurs impôts ont beaucoup augmenté, l’ancien conseiller du président qui a encouragé et cautionné la ponction fiscale du début du quinquennat se sentira-t-il visé, et acceptera-t-il alors de reconnaître publiquement son erreur?

Imaginons même qu’Emmanuel Macron bénéficie d’une indulgence populaire au motif qu’il incarne un renouvellement du personnel politique français, son enquête à la paille de fer sur l’état de la France ne risque-t-elle pas d’user encore le costume déjà élimé du président pour lequel il travaille officiellement? Est-ce cela le but ultime et secret d’Emmanuel Macron: finir de délégitimer l’action menée par François Hollande à la tête de l’Etat?

C’est au bout de toutes ces questions que la démarche d’Emmanuel Macron apparaît incompréhensible, illogique, énigmatique, curieuse. C’est au bout de toutes ces questions que l’impression s’impose que le ministre de l’économie vit tout cela comme un grand jeu enivrant qui puise son énergie et trouve sa tension dans les émotions personnelles du ministre, que l’on pourrait restituer en évoquant l’immense confiance dans son intelligence, et sans doute l’ivresse d’imaginer qu’à moins de quarante ans tous les possibles lui sont désormais à portée de main.

Mais la politique n’est pas un jeu. Et celui que joue Emmanuel Macron est éminemment préjudiciable au président de la République et à son premier ministre. Pourquoi le laissent-ils faire? Pourquoi le regardent-ils comme au spectacle sans jamais lui rappeler le cadre et les limites du rôle qui est le sien au gouvernement.

A sa manière, mais c’est involontaire, Emmanuel Macron souligne l’incapacité du président à se faire obéir, peut-être même parfois respecté. Par son action politique à l’extérieur du gouvernement, le ministre de l’économie souligne la fatigue de l’équipe au pouvoir, et pire, son épuisement. Au fond, Emmanuel Macron est l’agent corrosif d’un pouvoir essoufflé, son mauvais génie acharné à creuser le caveau profond dans laquelle la gauche de gouvernement pourrait sombrer le printemps prochain.

A le regarder faire, à regarder ceux qui le laisse faire, un seul sentiment s’impose à l’esprit: celui de l’incompréhension totale devant une démarche qui semble faite de jouissance et de plaisir, et qui n’est en réalité que destruction et agonie.