La gauche, déjà convaincue d’avoir perdu l’élection présidentielle

Rarement, sinon jamais, on a vu un camp politique au pouvoir dans un tel désarroi. Les signaux qu’envoient depuis quelques jours les dirigeants socialistes au pouvoir témoignent d’un affolement inédit. Comment l’expliquer autrement que par leur incapacité à saisir la situation politique telle qu’elle est, à treize mois du premier tour de l’élection présidentielle? Pour bien le comprendre, il est utile de déconstruire la déclaration faite le Vendredi 11 mars 2016, sur I Télé, par Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du parti socialiste:

« Le problème n’est pas de savoir si Hollande est candidat ou pas, c’est de savoir si les dirigeants du PS sont pour qu’il soit candidat ou pas. Donc, maintenant, la question que je vais poser à chaque responsable du PS, c’est: êtes vous favorable à la candidature de Francois Hollande? Si on est favorable, on se bat pour créer la candidature pour. Si on est pas favorable, on peut se présenter devant les Français. »

Tout dans ces déclarations, l’intention, la formulation des questions, la proposition des alternatives, témoigne de l’incertitude et de l’angoisse dans laquelle se trouve plongé le premier secrétaire du parti socialiste. Institutionnellement, son rôle est simple à définir. A la place qui est la sienne, celle de chef du parti majoritaire, il n’a d’autre choix que de soutenir sans jamais défaillir l’action du gouvernement, et de protéger en toutes circonstances le chef de l’Etat, leader naturel de la majorité. C’est ce que firent, en leur temps, Lionel Jospin, lorsque Francois Mitterrand était président de la République, et François Hollande, lorsque Lionel Jospin était premier ministre.

Jean-Christophe Cambadélis semble peu inspiré par les exemples de sa famille. Ainsi, voilà deux semaines, il a totalement failli à sa mission en se déclarant incapable de voter la loi El Khomri en l’état. Il s’agissait, au fond, d’un encouragement implicite à la contestation, ce qui ne manque pas de sel de la part du patron du parti majoritaire.

Sa déclaration du vendredi 11 mars constitue le second accroc de taille à sa fonction. En présentant la situation comme il le fait, demander à chaque dirigeant du PS s’il souhaite que François Hollande soit candidat à un second mandat, il reconnaît, là aussi implicitement, que chaque responsable du PS a le droit de ne pas souhaiter une telle candidature. Autrement dit, le premier secrétaire du PS ouvre la porte à la contestation interne du président à l’intérieur de son propre parti.

Pourquoi agit-il ainsi? Aucune explication rationnelle ne permet de l’expliquer vraiment. La seule hypothèse qui vaille est celle d’une lassitude psychologique profonde du premier secrétaire du parti socialiste qui se voit cerné d’ennemis de l’intérieur: Martine Aubry, engagée dans une guerre destructrice; les frondeurs socialistes, qui ne rêvent que de la défaite en 2017; Emmanuel Macron, qui se voit plus beau en son miroir que la troisième merveille du monde, et suppute de supplanter bientôt la deuxième.

Du coup, démuni des moyens de faire valoir son autorité, épuisé par la situation, Jean-Christophe Cambadélis met maladroitement en scène son malaise en proposant rien de moins que d’ouvrir un débat immédiat sur la candidature de François Hollande.

Cela correspond-il a l’intérêt du chef de l’Etat? Evidemment, non. Francois Hollande a besoin de calme et de silence autour du débat du renouvellement de son mandat. Si l’élection avait lieu aujourd’hui, il serait battu à plates coutures. Mais nul ne peut décrire avec certitude la situation politique dans six mois, ou bien au début de 2017. A ce moment là peut-être, et peut-être pas, les attentes collectives pourraient légitimer une nouvelle candidature du président sortant. Mais anticiper ce moment n’a aucun sens, aucun intérêt, aucune légitimité. C’est pourquoi il est hors de doute que Jean-Christophe Camabadelis agisse de son plein gré, sans concertation avec son président, et sans aucune pensée stratégique crédible.

Une faute de cette nature est exceptionnelle, sans précédent même. Mais en y réfléchissant un peu, on lui trouve évidemment des racines.

À son poste depuis mai 2012, Francois Hollande a déçu. Il a déçu les Français dans l’exercice de son mandat. Il n’a imposé ni l’autorité du chef de guerre, ni la justesse de vues du diplomate, ni les intuitions victorieuses du gestionnaire de l’économie. Le bilan est sombre, les résultats faibles.

Du coup, ses amis politiques, si ce vocable a un sens dans l’histoire de ce quinquennat, formulent leur déception à leurs manières. Selon eux, François Hollande serait surtout infidèle à ses promesses de campagne, ce qui expliquerait, notamment à gauche, la déception provoquée par son action.

L’explication est commode. Elle permet de poser un grand chapeau sur la tête de François Hollande. Elle est aussi artificielle. Si le pays avait eu le sentiment d’avoir été bien administré, qu’une vraie ligne politique avait guidée ll’action entamée au début du mandat, la référence aux promesses de campagne, que personne ne peut nommer avec précision, des formules vagues et générales qui faisaient de la finance l’ennemi number one et des riches les ennemis number two, n’aurait bien sûr jamais été mentionnée comme un élément d’explication du désamour des Français pour leur président.

La vérité est plus crue, et rend la solution quasi introuvable. François Hollande n’a pas les moyens d’une nouvelle candidature. Et probablement ne les aura-t-il pas. La gauche peut ainsi se trouver dans une situation inédite depuis le début de la V° République. Si l’on veut bien mettre de côté le cas de Georges Pompidou décédé en 1974, à chaque renouvellement depuis 1965, le sortant a été candidat à sa réélection. Il a été battu à deux reprises (1981 et 2007) et réélu trois fois (1965, 1988, 1995). Cette fois, le sortant pourrait sortir avant même de risquer de l’être par les électeurs.

Est-ce par une forme d’aveu psychanalytique que le premier secrétaire du PS a cherché à anticiper cette situation particulière? En tout cas, si elle se produisait, elle serait une épreuve terriblement difficile à surmonter pour la gauche dans son ensemble.

Quel serait, notamment le candidat du parti socialiste, parti dominant de la gauche et creuset naturel des futurs présidents?

Bien sûr, les candidats potentiels ne manqueraient pas. Mais le trop plein prévisible ne serait alors qu’une révélation de l’absence de leadership. Martine Aubry serait sollicitée. Son manque de détermination pour occuper un tel poste, constant depuis le début de sa carrière, et son positionnement politique peu innovant, apparaissent peu propices au déchaînement de l’enthousiasme.

Arnaud Montebourg lance régulièrement des signaux à ses camarades pour éviter de sombrer dans l’oubli, mais son caractère théâtral et ses postures hâbleuses n’aideront pas à installer la confiance.

Emmanuel Macron se rêve à l’évidence en modernisateur de la gauche. Face à une gauche qui ne rêve elle que d’un retour aux sources frelatées d’un pseudo-marxiste mal digéré, il apparaît d’entrée bien excentré pour imaginer récupérer un large soutien parmi les siens.

Demeure Manuel Valls, dont il est illusoire d’imaginer qu’il survivrait à Francois Hollande. Outre le fait qu’il paierait cher auprès des militants de gauche le prix de la politique qu’il a mise en oeuvre sous l’autorité du président, il souffrirait trop des postures autoritaires et sécuritaires qui ont été les siennes depuis 2012 pour parvenir à incarner un candidat crédible de la gauche a l’élection présidentielle.

Voilà donc tout ce que révèle une phrase curieuse et largement incomprise du premier secrétaire du parti socialiste: un camp majoritaire aux abois, presqu’acquis à l’idée que son président est déjà hors-jeu, et dans l’incapacité de lui imaginer un remplaçant crédible.

Le constat comporte deux enseignements majeurs.

Le premier tient à la gravité, à la profondeur de la crise politique que traverse la démocratie française dont les deux blocs alternatifs seraient la droite et l’extrême-droite. Cela ferait de la France un pays très singulier en Europe.

Le second indique que la droite possède d’ores et déjà, souvent d’ailleurs par le vide et par défaut, de grandes chances de remporter la prochaine élection présidentielle. Ce qui confère une importance réelle à la primaire qui départagera en novembre les candidats des Républicains, le vainqueur ayant de grandes chances de finir ensuite à l’Elysée.